jeudi 16 novembre 2017

16 novembre 2017 : en état d'urgence


conclusion qui s’impose : il n’y a absolument rien à attendre du vote “démocratique”.
Déjà Napoléon III, en 1850, avait vu que le suffrage universel était, non pas l’horreur que la bourgeoisie bien-pensante imaginait qu’il était, mais une véritable bénédiction, une légitimation inattendue et précieuse des pouvoirs réactionnaires. […] Napoléon le petit avait découvert que dans des conditions historiques à peu près normales, à peu près stables, la majorité numérique est toujours fondamentalement conservatrice.
(Alain Badiou)

Je ne sais pourquoi, ce texte d’Alain Badiou, que j’avais noté sur mes tablettes, m’est revenu en mémoire en voyant le beau film solaire de Marine Francen, Le semeur. Ce film "historique" commence en effet quelques mois après le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte" du 2 décembre 1851 : un village cévenol est vidé de toute sa population masculine, déportée en Algérie et en Guyane par les gendarmes. « L’état d’urgence est proclamé, nous avons tous les droits », répliquent-ils aux femmes interloquées qui tentent de s’interposer (ça n’a pas changé en 2017 !). Leur crime : ils sont républicains, et un des hommes, le père de l’héroïne, sait lire et donc il est considéré comme un meneur dangereux ; il a d'ailleurs appris à lire à sa fille Violette ! Il reste aux femmes et aux enfants restants à s’organiser pour continuer les travaux des champs, soigner les bêtes, récolter les moissons et tenter la survie hivernale qui va suivre. 

 
Elles y arrivent tant bien que mal, mais souffrent de l’absence d’hommes, surtout les jeunes femmes qui font le serment que si un homme vient à passer (berger, colporteur ou autre), elles le retiendront pour se le partager. Je vous laisse découvrir la suite. Non seulement le film est beau, mais il y souffle un air de féminisme pas si surprenant que ça en ce milieu du XIXe siècle qui vit fleurir, à la suite de George Sand, les belles figures de Flora Tristan, André Léo et Louise Michel. Quand l’homme inespéré est contraint de repartir (après le retour de quelques survivants des bagnes), non sans avoir fait un enfant à Violette et à Rose, il laisse un mot à Violette : « Tu diras à notre enfant qu’il est né de l’amour d’un homme et d’une femme libres ! » Nous n’étions que quelques pelés dans la salle : pas de comédiens connus pour attirer le chaland. Mais on en sort ayant chaud au cœur, ce qui en cette saison qui commence à fraîchir, ne peut pas faire de mal !

Quant au film algérien En attendant les hirondelles, de Karim Massoui, il dresse au travers d’un scénario ingénieux, le portrait en creux d’une Algérie contemporaine, entre magouilleurs et bidonvilles, tradition et modernité, machisme ordinaire et féminisme qui pointe son nez. On suit d’abord les pérégrinations d’un entrepreneur de chantiers, Mourad, sexagénaire divorcé et remarié, qui vient d’empocher un nouveau marché de construction d’un hôpital, mais qui se trouve soudain confronté à la violence : il assiste, médusé et impuissant, au tabassage en règle d’un jeune homme, tandis que son propre fils, qui veut abandonner ses études de médecine, est victime d’un accident de moto. Puis on suit Djalil, le chauffeur de taxi, amoureux transi d’Aïcha, qui se voit contraint d’emmener cette dernière vers le village de ses noces avec un autre. Enfin, on suit Dahman, un médecin reconnu, qui est soudain rattrapé par le passé des années de plomb, alors qu'il va enfin se marier : à l'époque d'un autre état d'urgence, quand les élections avaient été annulées, il a assisté, impuissant, au viol collectif d’une femme par les rebelles islamistes.

 
On voit que le scénario puise (comme chez le Hitchcock de Complot de famille) dans trois histoires distinctes dont on se dit qu’elles vont bien se rejoindre à moment donné. Mais là n’est pas l’objectif du film : ce n’est pas un thriller, mais une radiographie de l’Algérie contemporaine, vue à travers un "road movie" qui nous balade de la capitale aux paysages somptueux et désertiques des environs de Biskra, une Algérie qui n’en finit pas de panser ses plaies. Le tout filmé avec justesse et subtilité, et sans la moindre nuance de réalisme misérabiliste ni de thèse à développer. Non, du vécu seulement. On se laisse porter par les voitures qui nous véhiculent là où il se passe quelque chose, et où va se modifier le point de vue des héros de ces histoires. Très beau film, ambitieux, et là, la salle était quasiment pleine !

Dans les deux films, les acteurs, inconnus, sont époustouflants !

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