dimanche 10 décembre 2017

10 décembre 2017 : le cinéma au plus près du réel



Parce que notre rencontre, je le pense aujourd’hui, et l’impossible qu’il y a eu en elle ne pouvaient trouver place dans une vie et se sont produits dans l’éternité.
(Vergilío Ferreira, Lettres à Sandra, trad. Marie-Hélène Piwnik, Gallimard, 2000)

Décidément, malgré le temps pourri que nous avons en ce moment, le cinéma continue (en attendant la déferlante Star Wars) de nous apporter de belles surprises. Du côté des ressorties classiques d’abord, la nouvelle vague anglaise (free cinema) est tout justement à l’honneur, présentant des films que j'avais ratés à l'époque (trop jeune : Un goût de miel, par exemple, était interdit aux moins de seize ans). 


J’ai profité du festival de Pessac pour aller voir Le prix d’un homme (This sporting life) de Lindsay Anderson, sorti en 1963, avec Richard Harris (très marqué par le style de jeu de Marlon Brando) dans le rôle d’un jeune mineur cherchant à sortir à tout prix de sa condition sociale : remarqué par un vieux dirigeant, il devient une des stars du club local de rugby à XIII, mais rate son histoire d’amour avec sa logeuse, la seule qui essayait de lui redonner un semblant d’humanité. Constat implacable d’une société de classe gangrenée par l’argent, et où le sentiment n’a pas de place. 


J’ai aussi vu, à l’Utopia cette fois, Un goût de miel (A taste of honey) datant de 1961, où Tony Richardson narre la vie dramatique d’une toute jeune fille qui vit avec sa mère dans un garni. Cette dernière collectionne les amants (et Jo est priée de quitter les lieux lors de ces passades, ce qui lui fait rencontrer le cuisinier d’un cargo, un métis avec qui Jo va  connaître une brève idylle, sans doute le goût du miel du titre), et finit par en accrocher un pour se marier. Jo, restée seule, décide de quitter l’école pour travailler. Elle se découvre enceinte et rencontre Geoffrey, un jeune homosexuel qui lui propose de vivre à ses côtés, et qui va lui apporter la sécurité affective d'une forte amitié (à moins que le goût du miel soit là !). Tout se passe dans les quartiers misérables d'une grande ville, illuminés seulement par les fêtes foraines, les jeux et les chants insouciants des enfants. Malheureusement, l’espoir reste lettre morte, la société condamne ces jeunes à reproduire les erreurs de leurs aînés, et Jo risque bien de finir comme sa mère. Film en noir et blanc, très subtil, formidablement bien joué, que j’ai énormément apprécié et que je recommande.

 
Autre film anglais, mais tout récent, celui-là (et qui a un peu souffert d’être vu immédiatement après le précédent), Seule la terre (God’s own country), de Francis Lee, se passe dans une ferme isolée du Yorkshire. Johnny est un jeune paysan qui doit assurer les travaux les plus durs, car son père a eu un AVC et ne peut plus faire ces tâches. Pour oublier sa solitude, Johnny passe ses soirées à se saouler au pub où il lui arrive d’avoir des relations sexuelles masculines sans lendemain. N’y arrivant plus, au moment de l’agnelage, ils recrutent un saisonnier roumain, Gheorghe. Johnny, privé de mère (celle-ci s’est enfuie quand il était petit) est très seul, malgré la présence de sa grand-mère Deirdre. L’arrivée de Gheorghe va l'obliger à vaincre sa xénophobie (il n'arrête pas au début de traiter le saisonnier de "gypsy"), et petit à petit, au fil des travaux, de se rapprocher de lui : le film montre l’apprivoisement entre les deux hommes, comme fil conducteur d’une vraie histoire d’amour. Ce qui n’est pas simple, dans le contexte du comportement rude de la campagne et qui exclut à priori les sentiments (en dehors de ceux apportés aux animaux, vaches et brebis). Johnny, maladroit dans ce domaine, va apprendre à aimer, au contact de Gheorghe. Leur amour est dépeint avec beaucoup de sensibilité, y compris dans son côté fleur bleue. Même si parfois, la description des rapports physiques est un peu surlignée (et, étonnamment, malgré des scènes osées assez crues, il n'est même pas interdit aux moins de douze ans !). Le rapport avec la nature est évoqué en plans très larges sur les collines, les murets et les prairies, tandis que les rapports entre humains ou entre hommes et bêtes sont montrés en gros plans. Un bon film, à comparer avec Marvin et Moonlight, autres films récents traitant d'homosexualité..


À côté, Un homme intègre, de l’Iranien Mohammad Rasoulof, semble surgir d’une autre planète : comment vivre dans un pays où la corruption endémique règne partout sous forme de pots-de-vin : dans les entreprises, les lycées, la police, la justice et les prisons, les banques et les assurances ? Celui qui ne veut pas jouer le jeu en pâtit lourdement : c’est le cas de Reza, qui se trouve à la tête d’une petite entreprise d’élevage de poissons d’eau douce. Son terrain est guetté par une grande compagnie privée, qui use de tous les moyens pour le faire déguerpir : coupure de l’eau indispensable à son élevage, empoisonnement des bassins de poissons, menaces diverses. Reza, personnage étrange dans ce cadre, ne souhaite ni corrompre les autres, ni se laisser corrompre. Il essaie de résister, malgré le chantage, la violence, la peur pour sa famille. Dans un fol entêtement, il décide de ne pas céder. Il va se retrouver en prison, puis obligé, pour les protéger, d’envoyer sa femme et son fils vivre chez son beau-frère. Ce qui frappe dans ce film, c’est que le héros n’est pas présenté comme aimable. Il est brusque, il est rude, il ne sourit jamais. Les seuls moments où on le sent apaisé et où il donne un peu prise à notre empathie, c’est quand il va se baigner dans le petit lac intérieur d’une grotte. C’est un film parfaitement maîtrisé, mais noir, très noir, et on comprend qu’il n’ait pas plu aux autorités du pays, où le cinéaste est désormais assigné à résidence.


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