lundi 5 février 2018

5 février 2018 : Victor Hugo, réveille-nous !


Il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtements que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures humaines s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver.
(Victor Hugo, discours prononcé à l’Assemblée législative le 9 juillet 1849)




"Les associations qui encouragent ces femmes et ces hommes à rester, à s'installer dans l'illégalité prennent une responsabilité immense. Jamais elles n'auront l'État à leurs côtés." Ces mots, Emmanuel Macron les a prononcés à Calais, mardi 16 janvier (Le Huffpost, 30 janvier 2018). Comme vous le savez, je me méfie de la presse. Je ne sais pas si le président a réellement prononcé ces paroles rapportées par ce journal. Mais s’il l’a fait, c’est très grave**. Ça confirme qu’aider des personnes qui sont placées dans des situations difficiles, dans le froid, dans la pluie, pourchassées par la maréchaussée, personnes parmi lesquelles se trouvent des femmes et des enfants, peut-être même des "vieux", eh bien, les aider à ne plus avoir si froid, à s’abriter, à se nourrir, à s’habiller, à avoir de l’espoir dans l’humanité, c’est vraiment devenu un délit. Se comporter comme un être humain est de nouveau un délit. Au secours, Victor Hugo ! Voici revenu le temps du Second Empire et de l’arbitraire, où cacher un proscrit pouvait vous envoyer au bagne !


Heureusement, le cinéma nous console, par la fiction réaliste, et nous permet d’y voir plus clair, de redevenir humain, si tant est qu’on ne l’était plus. Prenons Tharlo, par exemple, ce berger vivant depuis quarante ans dans les montagnes du Tibet. C’est un simple, c’est un fragile. Il doit répondre aux nouvelles directives du gouvernement chinois qui lui impose la possession d’une carte d’identité, lui qui sait pourtant fort bien qui il est, même si plus personne ne l’appelle par son nom, mais utilise uniquement son surnom : "Petite natte". Il vient donc à la ville, car pour la carte, il lui faut une photo d’identité. Le choc de la rencontre avec la civilisation urbaine lui sera fatal. Dans une mise en scène toute de plans fixes (étouffants dans les scènes citadines) et de plans-séquences (ouvrant sur une certaine liberté dans les scènes de montagne), ce récit quasi ethnographique brosse le tableau d’un Tibet écrasé par la domination chinoise. Le réalisateur, Pema Tseden, met en place un récit très lent, photographié dans un noir et blanc somptueux. Voici, sans qu’ils aient besoin de migrer, des natifs qui sont comme étrangers dans leur propre pays

(affiche du film, plus optimiste que celui-ci)
 
Dans Une saison en France, Mahamat-Saleh Haroun met en scène une famille de réfugiés centrafricains exilés en France à cause de la guerre (la mère a été assassinée là-bas) ; le père essaie tant bien que mal de rendre une vie humaine à ses deux enfants, qu’il a scolarisés. Sauf que sa situation est précaire. Il attend la décision de l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) et doit donc travailler au noir aux halles, lui, l’ancien professeur de français à Bangui. La mise en scène s’attache aux difficultés de toutes sortes dans lesquelles sont prisonniers les personnages : ils sont dans l’inconfort permanent (même quand ils occupent provisoirement un superbe appartement qu’on leur a prêté), de savoir comment ils vont bien pouvoir se loger, se nourrir... Au début donc, on a l’impression que tout va bien : Asma et Yacine vont à l’école, Abbas, le père, a rencontré au marché Carole (Sandrine Bonnaire), fleuriste. Un autre réfugié, l’oncle Étienne, qui était là-bas professeur de philosophie, leur rend visite de temps en temps, apportant de la nourriture et des livres. Mais la situation se dégrade. L’OFPRA refuse l’asile, et Abbas, comme Étienne, sont désemparés, sans parler des enfants. Ils atterrissent chez un marchand de sommeil, avant que Carole les recueille quelque temps, jusqu’au jour où la police vient lui rappeler ses devoirs et les risques qu’elle encourt à héberger des gens en situation irrégulière. Au milieu du calvaire enduré par tous, cette chaleur humaine sent pourtant bon.
Je ne raconterai pas la fin. Mais le réalisateur ne nous fait grâce d’aucune des difficultés rencontrées par ces gens qui ne demandent que d’être accueillis : la peur de la police, les petits boulots, les agressions racistes, les démarches administratives quasi impossibles. Une saison en France évite le pathos. Il pourrait sans doute être plus consistant et développe assez peu le regard les enfants sur leur situation, sans doute parce que l’émotion générée serait trop embarrassante pour le spectateur. Reste le personnage de Carole, femme frêle qui tente de tenir tête à l’adversité.


Qui nous écrira le roman des ces Misérables du XXIe siècle, comme Victor Hugo avait bien su le faire au XIXe ou John Steinbeck (Les raisins de la colère) et Elsa Morante (La Storia) au XXe ? À vos plumes, romanciers !



** Dans le même discours selon Libération, "Emmanuel Macron a annoncé que l'Etat s'occupera désormais de «l’accès à la nourriture et aux repas, qui est assuré aujourd’hui par les associations». «Je vais vous le dire très clairement, nous allons le prendre à notre charge, de manière organisée, avec des points mobiles, sans tolérer aucune installation de campements illicites», a-t-il dit." 
Si on le prenait au mot !!!

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