mercredi 14 mars 2018

14 mars 2018 : Nous sommes tous des Mapuches


En 1837 dans le Missouri Henry David Thoreau, diplômé d’Harvard, démissionne de l’école publique d’Harvard après une semaine de fonction, car il refuse de battre ses élèves. En 1846 il passe une nuit en prison après avoir refusé de payer ses impôts à un État qui admet l’esclavage. Il écrit que le respect de la loi vient après celui du droit.
(Marie Cosnay, À notre humanité, Quidam, 2012)



MAPUCHE !
Depuis lundi soir, ce nom résonne dans ma tête, je le porte dans moi comme un fier étendard, celui de la résistance des peuples à l’oppression ; il est vrai que cet esprit est ancré chez moi depuis ma petite enfance, par les racontars que j’entendais sur la guerre qui venait de s’achever et dont le cousin germain de ma mère avait payé le prix fort, par son martyre à Mauthausen. Chacun sait qu’on reste marqué à jamais par les fortes impressions de l’enfance. J’ajoute donc à la liste des révoltés et réfractaires cités dans le précédent billet de mon blog le beau nom des MAPUCHES.
Merci aux formidables Rencontres Cinéma latino-américain de Pessac qui ont rappelé à notre esprit que l’Amérique latine est un des terreaux de cet esprit. Je n’ai pas vu tous les films, mais tous ceux que j’ai vus traitaient, au moins en filigrane, de ce thème : que ce soit en Argentine (El estudiante de Santiagio Mitre), au Brésil (La fille alligator de Felipe Bragança), à Cuba (José Marti, el ojo del canario et Ultimas dias en La Habana, de Fernando Pérez) et au Chili avec les deux films consacrés à la lutte des Mapuches : Mala junta, une fiction de Claudia Huaiquimilla qui sort dans les salles obscures aujourd’hui, et le superbe documentaire des Français Christophe Coello et Stéphane Goxe, Retour en terre Mapuche.


Les Mapuches sont les populations originelles de l’Araucanie, qui eurent à subir la violence des Incas avant celle des conquistadors, et qui pourtant ont réussi à si bien résister que la couronne espagnole leur avait accordé une large autonomie, que leur langue est encore parlée, que leurs coutumes se sont largement maintenues. Mais ils ont dû subir, après les guerres d’indépendance, la guerre menée par les nouveaux états (Argentine et Chili) pour les réduire, les persécuter, les déporter ou les parquer dans des réserves, tandis qu’une grande partie de leurs terres était spoliée et accaparée par les nouveaux maîtres, afin de l’exploiter à la manière capitaliste : la terre, ça doit "faire de l’argent", du rendement. Or Mapuche veut dire "peuple de la terre" dans leur langue, et la terre est pour eux la terre-mère, la terre nourricière, la terre qu’on respecte et qui est un bien commun inaliénable, un bien spirituel en quelque sorte. Le seul moment dans l’histoire du Chili où on les a laissés en paix fut, et ce n’est pas un hasard, la courte période dirigée par Allende (1970-1973). Depuis, Pinochet ayant mis le pays en coupe réglée, les multinationales s'y sont installées en conquérantes, ont implanté des forêts de rapport destructrices des éco-systèmes, mécanisé la production, des norias de camions emportent les troncs découpés... Finies, la biodiversité, la paix.


Désormais, les Mapuches continuent à se révolter, d’une manière somme toute pacifique, mais la police et l’armée continuent à les harceler, comme au plus beau temps de la dictature (on voit bien ici, comme en Catalogne en septembre dernier, que les dictateurs partent, mais que leurs méthodes sont bien ancrées). Car chacun sait, comme les Mapuches le proclament haut et fort dans le documentaire, que le gouvernement chilien n’est que le prête-nom des compagnies multinationales, avec bien sûr les USA à l’arrière-plan. Donc, le harcèlement policier perdure, les rafles d’une extrême violence (avec morts d’hommes) sont opérées, des militants emprisonnés après des procès "bidons" (on sait bien aussi que la prétendue "justice" n’est que la loi du plus fort). On les qualifie de "terroristes", mot à la mode pour désigner tous ceux qui déplaisent à nos nouveaux seigneurs.


Il se trouve que, parallèlement, je lisais ces temps-ci deux livres formidables consacrés à la Commune de Paris, dont on fêtera bientôt le 150ème anniversaire (2021) : À notre humanité, de Marie Cosnay et Comme une rivière bleue, Paris 1871, de Michèle Audin. Tiens, deux femmes écrivains. Les hommes, eux, préfèrent sans doute dauber sur leurs exploits guerriers et virils. Toutes deux ont écrit des livres forts et denses, assez court pour Marie Cosnay, qui met en scène une femme-témoin, et plus long pour Michèle Audin qui brode un roman d’une formidable inventivité sur l’ensemble des 72 jours qui ébranlèrent Paris en 1871 et fait vivre des personnes réelles, membre ou non de la Commune. Il n’est pas indifférent de savoir qu’il s’agit de deux écrivaines engagées (Marie Cosnay dans le soutien aux migrants, Michèle Audin, dans la mémoire de son père, Maurice Audin, militant de la cause anticolonialiste en Algérie, et disparu à vingt-cinq ans dans les geôles de l’armée française en 1957).
En parallèle, disais-je. Oui, il n’y a pas de hasard, la terrible répression versaillaise de la Semaine sanglante (21-28 mai 1871) a fait des petits. Aujourd’hui, de nombreux peuples sont maltraités (c'est un euphémisme !) et persécutés : Kurdes et Palestiniens au Proche-Orient, Rohingyas en Birmanie, Indiens et Noirs en Amérique, roms en Europe, sans compter les migrants de toutes sortes. L’inhumanité a encore gagné du terrain au XXIe siècle. L’hospitalité, la solidarité, le partage, la fraternité, l’égalité, sont en berne. Mais de-ci de-là, quelques-uns, quelques-unes, sauvent l’honneur. On en parle peu, mais ils sont là, elles existent. L’égoïsme, loin d’être le seul fondement de la civilisation, en sera le fossoyeur !

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